Ville de Lunéville

Histoire de la croix de mission

Le 11 mars 2023 un sympathique groupe de l’association Lunéville motos US mené par M. Demange a consacré toute une matinée à faire sortir de l’oubli un élément du patrimoine lunévillois situé en bordure de la route d’Einville : avec l’autorisation et le soutien de la ville de Lunéville qui avait mis à sa disposition un conteneur à déchets verts, il dégagé de l’enveloppe de feuillages qui la masquait (photo ci-dessous) une croix de mission qui, loin d’être un élément anecdotique, s’inscrit dans l’histoire de Lunéville depuis près de trois siècles.

La croix cachée par le feuillage
Les motards qui l’ont dégagée

L’origine de cette croix remonte en effet au roi Stanislas Leszczynski puisqu’elle a été posée le Ier juin 1742 à l’issue d’une mission prêchée à Lunéville par les Jésuites en présence du dernier duc de Lorraine et roi de Pologne, qui, le 28 du même mois, affecta 3000 livres pour y fonder une procession. Les fidèles partant de l’église paroissiale Saint-Jacques étaient appelés à partir en procession vers cette croix chaque octave de la fête du Saint-Sacrement : cette octave correspondait à la Fête du Sacré Coeur de Jésus, une dévotion que Stanislas partageait avec sa fille la reine de France, Marie Leszczynska, et qu’il avait développée en Lorraine. Un accord fut passé avec les chanoines réguliers de l’abbaye Saint-Remy comme curés primitifs de l’église paroissiale Saint-Jacques, le procureur syndict de l’hôtel de ville et les Jésuites du Noviciat de Nancy : il stipulait notamment que ces derniers devaient fournir un premier prédicateur qui prononcerait ce jour-là un sermon lors de la messe à l’église Saint-Jacques, et un second qui devait prêcher au pied de la croix à l’issue de la procession1.

La croix ne trouvait pas à son emplacement actuel, mais un peu plus bas vers la ville. Tournée vers Lunéville dont elle assurait la protection, elle était en effet initialement plantée non loin du parc des Bosquets en partant vers Jolivet, au sein d’un terrain quadrangulaire qui se trouvait à l’intersection du chemin (ou route) de Jolivet et de la rue dite des Carmes (qui prit ensuite le nom de la rue de la croix de mission puis de la Belle croix). Elle est visible sur une série de plans anciens de Lunéville de la fin du XVIIIe à la fin du XIXe siècle. (voir ci-dessous les extraits de plans de Lunéville et en rouge l’emplacement de la croix)

1788
1816
1837
1856

Endommagée lors de la révolution, elle a été restaurée en 1804, peu après la reprise d’une vie paroissiale en 1803, par le nouveau curé de Saint-Jacques le Père Nicolas Blampain qui était un ancien chanoine régulier de l’abbaye Saint-Remy : la date de 1804 se retrouve sur le socle actuel. Des points de fixation laissent penser qu’il y avait aussi une plaque qui a aujourd’hui disparu.

Socle dégagé en 2023

D’après Albert Jacquot, en 1825 ou 1826 – soit peu avant une mission jésuite à Lunéville qui s’est tenue en 1828 – la croix endommagée aurait été remplacée par une très belle croix sculptée venant de La Malgrange2 : cette croix appelée la « Belle croix » était aussi due à Stanislas qui l’avait fait ériger dans le parc de son château de la Malgrange aux portes de Nancy en cloture d’une mission jésuite qui s’était déroulée à Nancy en 17393. La croix de Lunéville appelée aussi la Belle Croix aurait ainsi porté ce nom en raison de ce transfert.

Une gravure de Fontbronne de 1742 (voir ci-dessous) donne une idée de l’apaprence de cette Belle croix de la Malgrange : elle se présentait sous la forme d’une haute croix sur laquelle était cloué un Christ sculpté et peint. Protégée par un balaquin monumental, elle était entourée de 12 chapelles peintes par Joseph Provençal représentant les épisodes de la Passion (cf. plan du recueil d’Emmanuel Héré). Si le témoignage d’Albert Jacquot est exact, c’est cette croix qui aurait été ensuite installée à Lunéville et l’une des rares descriptions conservée de cette croix lunévilloise, et datant de 1898, semblerait le corroborer puisqu’elle fait état d’un “beau Christ sculpté en bois”.

La Belle croix de la Malgrange (dessin de 1742 et plan d’Emmanuel. Héré)

Malheureusement cette Belle croix fut abattue en 1878 lors d’une violente tempête et ses débris restèrent entreposés quelques temps dans les sous-sols de la mairie de Lunéville. Mais, vingt ans plus tard, elle put être restaurée à l’instigation du curé de Lunéville l’abbé Fruminet et réinstallée solennellement à l’issue de la procession du vendredi saint 1898 suivie par 2000 personnes, lors d’une grande mission jésuite qui concernait toute la ville de Lunéville4.

Mais l’histoire de cette croix ne s’arrête pas là. En 1901 la Société du chemin de fer d’Einville qui construisait un tramway reliant Lunéville à Einville avait prévu d’édifier une gare à Jolivet ; dans ce but elle avait acquis un terrain dans lequel était enclavé celui où était érigée la croix. Si le monument de la croix appartenait à la paroisse Saint-Jacques, ce terrain de 2 ares relevait, lui, de la ville et lui avait été cédé par le comte Henri Adolphe de Frawenberg alors maire de Lunéville (N.B. : il fut nommé maire en 1823 et décéda en 1845). Un accord fut néanmoins trouvé : la paroisse acceptait que la croix soit transférée à l’extrémité du faubourg d’Einville sur un terrain situé à « l’angle aigu formé par l’ancienne et la nouvelle route d’Einville » appartenant à la ville qui y autorisa le déplacement de la croix : elle y fut réinstallée aux frais de la Société de chemin de fer, laquelle récupérait le terrain initial route de Jolivet pour y construire la gare5.

Parcelle initiale de la croix de mission. Archives municipales de Lunéville
Carte postale ancienne : la gare de Lunéville-Jolivet
Extrait du plan de Lunéville en 1911 : on y voit la gare de Lunéville- Jolivet et le nouvel emplacement de la croix de mission

Mais la Belle croix installée sur son nouveau site a dû être endommagée (lors de la Première Guerre mondiale ?), car elle a ensuite laissé la place à une autre croix, plus simple, en bois de chêne, qui ne comportait, elle, pas de Christ sculpté : cette nouvelle croix a peut-être pris place en 1934 comme pourrait le laisser supposer la date gravée sur la partie arrière du socle en pierre. Cette croix, très endommagée au début des années 1970, a été déposée par les services municipaux de la ville de Lunéville et remplacée à son tour en 1973 par une croix réalisée à l’identique dans les ateliers municipaux par M. Antoine Salm qui se souvient avoir inscrit la date de son installation au revers de la croix en bois : il s’agit de la croix qui vient d’être dégagée où l’on peut lire en effet la date du 24 octobre 1973.

La date du 24-10-73 visible au dos de la croix dégagée en 2023

Et la dernière étape de l’histoire de cette croix jalonnée de multiples péripéties est le nettoyage du 11 mars 2023… Un grand merci et bravo aux généreux et courageux motards qui ont permis de trouver ce témoignage du patrimoine et de l’histoire de Lunéville !

Le groupe qui a dégagé la croix


1
Nicolas-Léopold MICHEL, Recueil des fondations et établissemens faits par le roi de Pologne, Nancy, Messuy, 1762, p. 69, cf. Henri LEPAGE, Les communes de la Meurthe, Nancy, Lepage, 1853, t. I, p. 669.

2 Albert JACQUOT, « Claude Joseph Gilles », Réunion des sociétés des beaux-arts des départements, 1893, p. 654.

3 Louis LALLEMENT, Le château de la Malgrange, notice historique et descriptive, Nancy, Lepage, 1852, p. 31. Elle a ensuite été transportée près de Notre-Dame de Bonsecours (C. PFISTER, Histoire de Nancy, t. III, Nancy, Berger Levrault, 1902-1909, p. 393) puis abimée lors de la révolution elle a disparu mais fut sans doute mise à l’abri avant d’être restaurée et transportée à Lunéville

4 « France, mission de Lunéville, Carême 1898 » Lettres de Jersey, Volume XVIII, Number 1, 1 June 1899, Jesuites online library, p. 61-69.

5 Archives municipales de Lunéville, D 55. Documents mentionnés par Marc GABRIEL, Le petit train de Lunéville à Einville et Jolivet, un tramway urbain dans Lunéville, un tacot dans la campagne lunévilloise, Lunéville, s. e., 2012, p. 13-14. Cette gare aujourd’hui détruite correspond aux anciens bâtiments Roch.